Il alluma la radio, nourrit le lecteur CD d’un disque pris au hasard dans la porte de son véhicule et régla le volume sur 25. Il ne quittait pas la route des yeux. L’appareil se mit à beugler une mélodie que certains, sûrement, auraient qualifié de «bruit sans consistance» plus que de «musique».
Qu’importe, il était seul dans son camion. Seul sur la route. Seul au quotidien.
Julia l’avait quitté, emportant avec elle leur fils et les souvenirs de cinq ans et demi de mariage.
«A toute à l’heure !» avait-elle lancé en claquant la porte, le gamin dans une main, les clefs de la voiture dans l’autre. Il les avait vus pour la dernière fois.
Yoann aura quatre ans la semaine prochaine pensa Vincent. Et lui, ne sera pas là. Il ne sera pas assis à côté de son fils pour souffler avec lui sur les bougies magiques de son gâteau au chocolat préféré.
L’espace d’un instant, ses yeux quittèrent la route pour se poser sur l’alliance qu’il gardait à sa main gauche. Vincent inspira un bon coup, essuya du revers de la main les larmes qui commençaient à lui brouiller la vue et reporta son attention sur le goudron qui défilait sous lui. Cherchant à tâtons le bouton du volume, il le poussa jusqu’à 30, priant pour que ce boucan couvre le dernier éclat de rire de son fils qui résonnait dans sa tête.
Montpellier – Nord. Il actionna le clignotant, ralentit sans changer la vitesse et prit la sortie d’autoroute. Le moteur, en sous régime, hurla pendant une bonne minute avant que Vincent ne s’en rende compte et ne passe la seconde.
« Un camion tout neuf, du dernier cri, rien que pour toi… et encore désolé pour ta femme….Ne te laisse pas abattre, la vie continue hein !» lui avait dit timidement son patron.
C’est un chic type, pensa Vincent, mais ce ne sont pas deux tonnes de tôle, caoutchouc et plastique qui me feront oublier leur absence.
Il était arrivé au point de livraison. Vincent, comme à son habitude, manœuvra habilement, détacha la remorque pour que les gars de la boite puissent décharger et alla garer son tracteur derrière le bâtiment. Il ne savait que faire de sa soirée. Le boulot l’occupait au moins. Sûrement que ce soir, comme tous les soirs, il prendra une douche brûlante et irai s’endormir, la face enfouie dans son oreiller, pour ne pas penser.
***
Vincent entrouvrit ses yeux encore engourdis d’avoir été tenus fermés trop longtemps. Il jeta un coup d’œil au réveil. L’écriture rouge lumineuse indiquait 13h25. Avait-il réellement dormi une journée entière ? Il ne le savait plus très bien. Il se releva, en appui sur ses coudes, pour tenter de se rappeler l’endroit où il avait échoué. Rassuré de constater que le lit était le sien il laissa sa tête retomber sur l’oreiller et ferma les paupières. Un cliquetis de clés suivi d’un bruit de serrure. Il se rassit précipitamment. Les bras chargés de deux gros sacs en papier recyclé, une brunette apparu dans l’encadrure. Elle lui offrait un sourire tendu jusqu’aux oreilles.
Il avait rencontré Léa quelques mois auparavant. Plus par habitude que par appétit, il s’était rendu au bar restaurant du coin. Tiens ! Une nouvelle serveuse... En tout cas c’était la première fois qu’il la remarquait. Sans style particulier et pourtant singulièrement différente des autres serveuses. Peut-être était-ce son visage ? Ses cheveux bouclés aux pointes ? Ou ses yeux ? Vincent n’en savait trop rien, mais elle avait quelque chose de plus. Luttant contre la fatigue il avisa son assiette pleine et planta sa fourchette dans un bout de champignon.
«Vous désirez un dessert?…Oh mince... Heu.... Monsieur ? Wouhou ! Monsieur !». Une main posée sur l'épaule de Vincent, elle avait entreprit de le secouer doucement mais il se réveilla en sursaut. Elle souriait.
Son sourire, c’était son sourire ! Cette joie de vivre communicative. Elle rayonnait. Vincent n'avait pas sourit depuis quatre longues années, si bien qu'il en avait presque oublié comment faire.
«Excusez moi de vous avoir réveillé. Je venais vous demander si vous vouliez un dessert mais je constate que vous n'avez pas fini votre plat de pâtes carbo'... d'ailleurs vous en avez un peu sur la joue...» lui avait-elle lancé en lui présentant un serviette en papier à l'effigie du restaurant. Vincent avait senti le sang lui monter au visage. Sûrement était-il devenu aussi rouge que la tomate farcie trônant dans l'assiette de son voisin de table. Il bredouilla de vagues excuses et s'essuya méthodiquement la joue. S'endormir la tête dans l'assiette. Il devait vraiment manquer de sommeil le pauvre petit, pensait Léa. Cherchant à oublier son malheur, Vincent passait ses journées et ses nuits sur la route, accumulant kilomètres, fatigue et heures supplémentaires.
De carbo' en bolognaises, Vincent et Léa avaient alors fait connaissance. Lui, avait mis de côté une part de son chagrin afin de reprendre le cours de vie. Elle, lui dispensait jour après jour douceur, bonheur, joie et amour.
***
Il ouvrit le tiroir de la commode et en sorti un article de presse daté du 15 février 2002. Cet article, Vincent le connaissait par coeur. Dans son chagrin et pendant plus de quatre ans, il n'avait cessé de le lire et de le relire encore, n'osant y croire. «Accident mortel pour une mère et son fils» clamait le gros titre. Léa fixait la nuque de Vincent en silence. Il reposa le bout de papier au fond du tiroir et le repoussa du poing. Il se retourna, lui rendant son sourire.
2 commentaires:
!
Excellent !
!
en effet!
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