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dimanche 4 février 2007

La Phrase

[ De la part de Jezz, frère exilé à la capitale, qui m'a prestement demandé de laisser ici les quelques magnifiques lignes émanant de ses mains... ]

« … la profonde inanité de notre raison d’être… »

Il sourit. Elle est revenue. Ils ont un jeu, tous les deux, un jeu intime et bien à eux. La phrase est là, occupant son esprit, ça faisait longtemps qu’elle n’était pas apparue. Depuis maintenant des années, mais comme toujours elle revenait au moment le plus inattendu, pour lui faire un clin d’œil.

La première fois il avait… il ne sait plus. Ça remonte tellement loin. C’était une phrase, ou plutôt un extrait de phrase, quelques mots mis bout à bout, qui ne faisait pas vraiment de sens. Quelle était sa raison d’être, pourquoi se poser la question de sa valeur ?

Il lève les yeux de son écran, se déconnecte du serveur sur lequel il travaillait. Après tout, la phrase l’a complètement interrompu. Il peut voir dans les bureaux alentours ses collègues travailler, du moins ceux qui restent encore. Des célibataires, souvent, ou certains qui essaient au bureau d’oublier une immuable et vide routine familiale.

La Tour s’était vidée petit à petit, comme elle le fait tous les jours. À 17h00 les secrétaires s’en vont. Elles vont rejoindre leur famille, chercher le petit dernier à l’école, aller à la gym, faire des courses, ne pas oublier de mettre une casette dans le magnétoscope. Leur départ laisse les couloirs vides, silencieux. La moitié des bureaux sont encore allumés. Une heure plus tard les femmes de ménage viennent vider les poubelles. Alors commencent à partir les commerciaux, les ingénieurs, les chefs de service. Ils mettent une dernière touche à un rapport, se jettent les manteaux sur les épaules et saluent les retardataires en fermant leur bureau.

La Tour est vide maintenant. Il reste devant la fenêtre, il a éteint la lumière pour contempler la ville à ses pieds. Des voitures s’entassent dans les rues. Les artères illuminées dessinent les contours des arrondissements. En face de lui le phare de la Tour Eiffel lui fait un clin d’œil, puis repart balayer la nuit de son œil unique, cyclope nocturne de métal centenaire.

La nuit avance et les rues se vident. Il devrait rentrer, retourner dans son appartement. Quatre murs, un lit et une radio, des bouteilles d’alcool vides et des verres encore collants. Dormir quelques heures avant de revenir demain matin. Recommencer jour après jour les mêmes tâches. Et surtout ne jamais se poser de questions, ne pas de demander pourquoi.

La phrase est toujours là, elle dessine l’arrière plan de ses pensées. Il se demande où elle était cachée ces derniers temps. Était-elle vraiment partie, d’ailleurs. Elle était sûrement restée finalement, simplement il l’avait éliminée. Il s’était inventé des raisons de vivre, avait fabriqué des leurres pour tromper l’angoisse latente d’une question trop crue, trop intime pour qu’il l’affronte tous les jours. Il avait du s’auto justifier, se raconter de petits mensonges jour après jour pour croire que ce qu’il faisait servait à quelques chose. Étudie pour trouver un travail, pour accroître ton savoir. Aime cette fille et soit aimé en retour, apporte du bonheur autour de toi, soit heureux.

Ces raisons semblent si futiles ce soir, derrière cette vitre. L’amour naît, vit et meurt. Tous ces efforts pour finalement revenir à cette question qu’il avait cru tuer à jamais par une activité sans cesse renouvelée. Il se sent devenir fou. Ou trop lucide peut être. En pleine dépression en tout état de cause.

Si encore il avait suffisamment de raisons pour ouvrir la fenêtre et enjamber le parapet. Mais ça serait encore donner trop d’importance à ce qu’il ressent. Avouer qu’il s’est trompé quelque part, qu’il aurait pu faire des choix différents. Chercher à apporter une réponse définitive à la phrase, comme si sauter allait l’amener dans un autre endroit. Croire qu’il existe un ailleurs où trouver du sens.

Un tour de clé raisonne dans le couloir. C’est l’ascenseur qui le ramène au niveau du sol. Pour cette fois. Et demain il reviendra reprendre le cours d’une vie sans but.

Il regarde en l’air, cette fenêtre où il était quelques instants auparavant. Est-ce qu’on entend le vent siffler dans nos oreilles quand on saute ? Il sourit.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

allez, je m'emporte...!

j'aimmmmmme!!!

c super bien écrit! oui c surtout le style que j'adore, car l'histoire est un peu déprimante (même si c quand même une chouetteu nistoire, faut bien ê sérieux ds la vie aussi hein), ça donne hyper envie de bosser dans des bureaux et surtout, ça flanque la trouille de "rater sa vie" et de se poser la moindre tite question existentielle parce qu'elle va revenir vous haaaaanter (gloups) (en même tps c qu'une histoire hein... hein? dis?)(oui, il est tard c pour ça que bobo-tête dc désolée si j'ai pas tout compris...)
petit bémol pour la fin : finir sur une question un peu cliché comme ça, rhooo (oué jsais, jfais style que jm'y connais et que jpourrais faire mieux... c si facile de critiquer!)

franchement bravo!

DoZeR a dit…

moi aussi, j'ai beaucoup aimé !
well done sir.

et merci pour ta contribution
(du coup je t'ai envoyé une invitation pour poster)

°Oo...zabeth...oO° a dit…

quelle ambiance intérieure... je suis dedans à 200% pendant la lecture =)

Anonyme a dit…

je découvre un peu tard cette histoire (ce site en général en fait). mais waw... bien joué. ton texte m'a beaucoup touchée!

Anonyme a dit…

je savais pas que t'écrivais ça...
C'est touchant et super bien écrit...
comme toujours...

Anonyme a dit…

Alors on aimerait anesthésié le cours de nos pensées, croire que tout est valable et que l'importance est un mot qui existe réellement...mais on continue jour après jour a répéter les mêmes actions par peur du vide

Anonyme a dit…

Deux choses dans la vie : lire Sénèque et Castagna.

Anonyme a dit…

c'est pas moi euh !! :p c'est mon frère Jezz le bien nommé qui a écrit cela. Ca reste du Castagna remarque...