Quelle est votre histoire préférée du Concours

jeudi 13 décembre 2007

" Mais euh... On te l'enlève quand ? - Jamais, j'crèverais avant, connard... "

Je marchais d'un pas faussement décidé dans cette rue qui déjà dans l'air frais du soir s'endormait. Les voitures toujours coulaient en un flot incessant sur l'asphalte froid. Les esprits étaient ailleurs, fixés sur la route, et le domicile qui les attendaient, le repas, les occupations, toutes ces petites choses auxquelles on pense normalement quand la palpitation de notre vie s'éteint, nous prostrant à la solitude. Les esprits étaient ailleurs, ou plutôt non, il n'y avait plus d'esprit dans la rue froide, tous bien loin de ce trottoir que plus personne ne regardait.
Et moi, seul esprit survivant dans cet enfer hivernal, j'errais gauchement, brillant de la chaleur infernale de ma désillusion, les mains enfoncées jusqu'au fond de mes poches, la droite sur le portable, la gauche sur une chaîne. Les yeux affaissés vers le goudron mat que mes pied raclaient péniblement, j'observais les volutes qui s'échappaient de ma bouche infestée des morsures du froid. Mon esprit à moi se jetait violemment d'un côté à l'autre de ma tête, s'écorchant aux aspérités de ma boîte crânienne, à se demander quel paquet de merdes, quel enculure de castor ou quelle petite erreur commise certainement de mon propre chef m'avait amener là ce soir, alors que mon esprit aurait tant voulu se pavanner ailleurs. Dans un autre endroit, comme les autres, dans un autre corps... Ma tête tanguait un peu plus fort quand le fil de ma pensée s'attardait sur la journée de merde qui précédait ces fatidiques minutes du paroxysme d'une douzaine d'heures regrettables. La routine, encore. Le froid, encore. Cette douleur indicible qui jamais ne partait du creux du ventre, encore. Cette inlassable impression de perdre son temps, de rater des gens, des choses, des amis, encore. Cette nostalgie qui dégoulinait de chaque recoin du lycée sur lequel je posais un regard, encore. Il est intéressant de noter combien ce mal-être constant tire de sa monotonie l'originalité d'être toujours plus fort, plus profond.
La route se déroulait sous mes pas, tout près des magasins qui s'apprêtaient à fermer. Morne. Comme dernier espoir, cri plutôt que lueur, le refrain envoutant de Some People m'arrachait les tympans autant que les tripes, poussant les larmes vers ces yeux secs et désintéressés, aux sons stridant des débuts Deftoniens. Peut-être tout à l'heure tomberaient-elles...
Enfin, ma course erratique dans la nuit tombante et le froid mordant qui me brûlait depuis l'arrêt de bus m'amena jusqu'au but tant redouté de cette incartade à ma petite vie paisible. En retrait d'un parking à demi-éclairé par des réverbères qui me semblaient d'une blafarde lumière, une porte de verre entre ouverte laissait voir un sombre escalier carrelé qui montait dans l'ombre. Mon pied gauche, plus courageux que le droit, s'élança, l'autre fut bien forcé de le suivre et l'emboîta. Je montais, m'embrumais, arrivais enfin au sommet, faisais face à la porte, sonnais puis entrais.
Personne ? Et bien non, quelqu'un. Quelques-uns même.
Comme il semble amer de rencontrer quelqu'un quand la tristesse tire notre coeur vers la solitude, quand nous voudrions cacher ce mal qui nous ronge, mais qu'alors la société nous pousse dans nos retranchements et attise notre haine contre cette fraîcheur et ce soulagement que procure l'Humanité.
Une mère, dans la quarantaine. Le stéréotype des mères à la con de classe sociale moyenne relativement aisée quand même, avec ses fringues moches faites pour la quarantaine, celles qu'on leur dit qu'elles font plus jeunes, moins grosses, plus tendance. Et puis un sac à main, bien sûr. Bien gros, bien rempli. En cuir, tout le monde s'en fout de savoir si c'est du vrai, à part peut-être la propriétaire. Moi en tout cas, je m'en foutais. Je la regardais, debout face à la rangée de chaises de la salle d'attente, concentrant dans mes yeux toute l'arrogance et tout l'insolence que je renfermais au plus profond de moi. J'essayais de donner un semblant de contenance au tas de merde que je formais sur le carrelage, arrosant toute la pièce blanchâtre d'une haine adolescentesque sans fondement envers la société, la hiérarchie, l'adulte. La capuche relevée sur la moitié du visage, le pantalon trop large qui tombait sous les chaussures, la démarche traînante à l'excès, les bracelets protubérants qui cliquetaient de toute part, la bouche déformée en une expression démente, et enfin le riff abrasif des Deftones qui me déchirait toujours les oreilles d'une sombre puissance, inondant la pièce de bruits saturés qui s'échappaient de mes écouteurs, tout en moi concourrait à créer ce sentiment si délectable, la provoque. En cet instant, je considérais face à moi le symbole du stoïsme rigoureux et du sérieux bien comme il faut d'une société d'adulte détestable, visant à l'altérer, l'écorcher, la révulser de mon attitude. M'aggripant sans me l'avouer à ce sentiment de haine qu'a la jeunesse, me dissimulant sous l'étiquette des incompris d'un monde vieillissant, je m'appliquais avec soin à l'emmerder, glissé dans la peau de cet adolescent dégoulinant de mal-être. Peut-être qu'elle n'y prêtait pas attention, comme moi vis-à-vis de son sac à main. J'espérais tout au moins qu'elle ne m'aimait pas, qu'elle me jugeait. L'idée m'aurait soulagé, m'inscrivant dans une sorte de causalité universelle où ma tristesse ne dépendait pas de moi...
A côté d'elle, une fille. Sa fille. Une dizaine d'années, la mine décousue. Elle portait de ses dix petits doigts cette trousse bleue transparente que je haissais tant, qui me projettait dans un autre temps, de l'avoir eu, moi, à un âge où on n'en donnait plus, putain. Physiquement comme sa mère, en plus petit. Peut-être un peu plus à la mode aussi. Elle avait déjà des Converse coloriées au bout d'un affreux slim qu'un rat ne remplirait pas. Son petit frère de trois ans murmurait les si belles inepties de cet âge innocent, renversant encore et encore les jouets à moitié cassés dans un vacarme épouvantable. Dehors, la nuit toujours.
La porte du cabinet, en face de l'entrée, s'ouvrit à la volée à l'instant où je m'affalais sur une chaise en plastique. La secrétaire en blouse blanche de ce bon monsieur Carbonnelle se rua derrière son comptoir, tandis que de derrière la porte, le dentiste, à demi courbé sur une jeune patiente qui vivait l'enfer, me lança : "J'arrive Clément hein, un petit instant."
La porte se refermait. Va crever.
Enfin, mon tour vînt, je laissais derrière moi l'objet de ma haine inconsidérée et pénétrait dans l'arène.
"Alors Clément, ça va bien ?
- Hmmm."
Je lâchais pêle-mêle mon sac de cours, mon lecteur CD et mon manteau devant son bureau bien ordonné, et considérait cet homme qui me parraissait d'un seul coup si hyppocrite.
"D'accord, bon et bien on y va alors ! Qu'est-ce qu'on devait faire aujourd'hui Clément ? lâche-t-il conventionnellement en roulant jusqu'à son ordinateur.
Me barrer. Long silence. Qu'il aille se faire foutre, je ne répondrais pas.
"Ah oui, on pose les bagues en bas, c'est vrai. Installe toi.
- Hmm.
- Tu me prépares ça ? dit-il, s'adressant à la secrétaire."
Comme il a dit, je m'allonge en soupirant. Au dessus de moi, le quadrillage lumineux de l'éclairage me fait presque fermer les yeux. Nouveau roulement de fauteuil. Je ne vois plus la lumière, à la place, sa grosse tête se penche sur ma cavité buccale. Des cheveux bien peignés, gominés on dirait. Des naseaux pointus qui reniflent légèrement, des lèvres fines, des yeux froids. Calme toi. Ses petits pores de la peau, ces minuscules imperfections sur lequel chaque client s'attarde une seconde me saute aux yeux, à quelques centimètres. Tandis que ces mains gantées de plastique fourragent dans ma bouche. Et que je t'envoie de ces phrases à la con : sers les dents. Ouvre la bouche. Aligne tes dents du fond. Oh, c'est très bien pour le brossage de dents.
" Bon Clément, on y va ?
- Hmmm."
Nan connard, va te faire foutre toi et toute la merde que tu t'apprêtes à me coller sur les dents. J'en ai rien à faire de tes phrases incipides, de tes conseils de merde ! Si je pouvais, j'en aurais de la putain de conversation, mais j'écorcherais chaque mot qui sortirait de ma bouche, j'arriverais même pas à dire tout ce que j'ai, là, pour toi. C'est peut-être pas ta faute si ça tombe sur toi, t'es rien de plus que les autres, tu mérites peut-être pas ça, mais j'y peux plus rien.
" Ouais, on y va.
- Ok, alors rouvre la bouche."
Il fouille, ses mains font l'aller-retour entre ma bouche et sa petite tablette, là où tout se prépare. Sa face blafarde remue toujours au dessus de mon nez. La frustration sourde qui sommeille en moi s'éveille en soubresauts difficiles, et imperceptiblement, je soupire. Desespéré. Comme condamné à mort.
Et alors je me rappelle. Cette belle après-midi de fin d'été, quand le soleil encore lançait généreusement ces rayons rassurants sur chaque parcelle de la terre, quand la chaleur nous incommodait presque. Je me revois descendant ses marches d'où je viens, que j'emprunterais tout à l'heure. Je me revois, suivant ma mère qui n'ose plus parler, et moi qui retient les larmes. Je me remémore cette sensation de déshumanisation, de perte de repères, l'impression de rajeunir comme on ne le voudrait pas, l'impression injurieuse de n'être plus crédible. Monsieur m'avait alors déjà mis un pied dans la tombe, avec son appareillage inutile, et j'en suffocais de tous les sentiments les plus négatifs que le coeur de l'homme peut porter. Maintenant, je finissais de creuser mon caveau, pour descendre un peu plus bas dans la tombe. Pour deux ans seulement. Ben tiens. Les deux seules années de ma vie que j'aurais voulu vivre plus que n'importe qu'elle autre. Trop tard.
On se croirait dans un film. J'entends dans ma tête raisonner un de ces refrains de ballade déprimante qu'on entend toutes les trois minutes dans les séries américaines, puisque Deftones n'est plus là. Here come's a regular emplit ma tête, et l'autre connard de merde toujours m'observe avec ces yeux de loutre. Putain... Méticuleux. Sûr. Con. Pour lui, ce n'est rien d'autre qu'un petit acte du quotidien. Il a l'air de penser que tout est facile, voire que je suis content. Surtout con, maintenant le temps... C'est trop tard de toute façon. Les pinces coupent, la colle se prépare, la secrétaire pose les petits objets en céramique. Tout est prêt ca y'est. Toujours les néons au dessus de moi me frustrent. On dirait qu'il y a tout juste assez de lumière pour donner envie de fermer les yeux.
Et c'est parti.
La petite pince, avec un point rose au bout. Les mains qui font l'aller-retour, et hop, l'ensemble disparaît dans ma bouche. Hmmm, comme c'est désagréable.
" Et de une ! Normalement ça doit très bien coller hein, ne t'inquiètes pas."
J'aurais pu lui scander un de mes "hmmm" favori, mais non, je peus même pas sortir un son. Déjà parce que j'ai la gueule grande ouverte, ensuite parce que je suis suffoqué à nouveau. Je me rappelle les escaliers qui redescendent, là où tout est fini, ça y'est. Enfin non. Tout le bien est fini, il ne reste que la joie de vivre avec cette petite chose qui conforte le trou de la sécu. Les petits points noirs de sa peau, les petites rougeurs, chaque petit pore d'où partira cette nuit un poil qu'il coupera demain au fil de son rasoir, tout. J'exècre tout en lui.
Un feu virulent ravage tout mon être, je n'en puis plus, à mesure que ces mains pourrissent interminablement la moitié de mon sourire, il faut que je crie, il faut que j'explose, il faut que tout s'arrête. Mon coeur bat à tout rompre, toujours ce visage affreux me fixe, et moi dans ses yeux je vois tous les visages qui me croisent. Je les vois rire, je les vois me contempler là, tout seul dans le noir de la honte. Moqueries, déceptions. Je dois crier, je dois exploser, je dois tout arrêter...
Je crie. J'explose. Tout s'arrête.
Enfin non.
Pas vraiment.
Je crie, horriblement. Je m'égosille, alors que ces doigts sont en moi. Mais avant même qu'il n'esquisse un retour, ma bouche se referme.
Sur ses doigts.
M. Carbonnelle peut réagir maintenant. Il hurle de douleur quand, sous la pression de ma mâchoire, ses deux doigts condamnés craquent dans un bruit. Le sang chaud inonde ma bouche et une flamme démente s'allume dans mes yeux. Quant à lui, quant à ses yeux, ils paniquent. S'agitent. Le pauvre homme transpire et se débat comme un goret, voulant échapper à son sort.
Mais non Monsieur Carbonnelle, le choix est fait. C'est trop tard maintenant...
Je relâche mon emprise sur les doigts ensanglantés, il les retire aussitôt mais, entraîné par son recul, tombe à la renverse.
Assez de temps pour que je me lève de l'échaffaud, et que je me précipite vers lui les crocs en avant. Alors, dans une rage indicible agitée des soubresauts déchaînés de la haine, je le lacère de coups, de griffures, de morsures... Dardant sur lui mes yeux, qui ne sont plus que deux fentes rougeoyantes, il me semble voir, imprimées sur sa face violacée, les marques distinctes de mes bagues.
Indicible délectation.
Toute ma douleur fond sur lui sans que je n'y puis rien contrôler. Mon sourire sanguin l'observe se trémousser au sol en spasmes monstrueux. Tel un psychopathe je ne le quitte plus, je le regarde froidement souffrir. Le sang gicle en jeysers sur le carrelage et les murs. On ne retrouvera que vos belles dents bien blanches quand j'en aurai fini, Monsieur Carbonnelle.
La secrétaire reste figée au bureau, les yeux ouvertes. On la croirait morte, elle n'ose pas même bouger un cil. Tant mieux, le tableau n'en est que plus beau.
J'en prends tout mon saoul, je me rince l'oeil encore et encore. Je ronge ces membres meurtris, j'ampute chaque orteil, chaque doigt, toujours dans des flots de sang et de pus, dans des craquements sonores glaçants. Qu'elles sont solides mes dents, avec votre appareil !
Enfin, je m'arrête. Ma rage retombe, l'horreur plane encore sur la pièce. Dehors, la nuit toujours.
Il se traine au sol, implorant. Des râles pleurnichards se fraient un chemin dans sa bouche déchiquetée. Le tas de chair qu'il représente glisse dans la mare rougeâtre dès qu'il tente un mouvement.
Alors, tranquillement, j'essuie mes mains sur mon sweat, rabas la capuche et me saisit de mes affaires, près de la secrétaire. Quand je la regarde elle crie un peu, puis se tait aussitôt.
Je lui souris. Aux commissures de mes lèvres luisent encore des gouttes de ce sang qui est partout. Le sang de mon patient. Ma langue se trémousse dans le liquide qui stagne entre mes dents.
Plus jamais...
Je sors.
Les escaliers, presque sans pensées. Puis le trottoir de nouveau. Personne, cette fois-ci. Le froid à nouveau envahit, la torpeur, la nuit, la vie, la routine. Et je marche, de nouveau. Toujours un pas devant l'autre, à me demander ce que je fais là.


RENDEZ-VOUS FIN JANVIER A SAINTE LUCE CHEZ MONSIEUR CARBONNELLE !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

j'espère que ton monsieur Carbonnelle n'a pas l'adresse de ce blog

Anonyme a dit…

premièrement concours d'orthgraphe!!! inSipides, je peuX.

ensuite, j'espère que tu n'en fais pas réellement tout un plat!! quand tu l'enlèveras, on te dira "ah bon! t'avais un appareil!", et même si des hypocrites se cachent dans le lot, la plupart seront sincères. J'ai survécu à ma rentrée de prépa affublée de ces immondes attributs!!!

alors courage!! et préviens moi la prochaine fois que tu as envie de mordre!!

ta belle soeur