Quelle est votre histoire préférée du Concours

vendredi 21 mars 2008

Comme un frisson qui resurgit

Cette fille s’assoit à côté de moi, plus exactement à deux places à ma droite. Elle doit avoir à peu près 14 ans. Assise à cette sorte de banque face à cette grande baie vitrée qui donne sur l’avenue de la gare de l’est, elle ne peut pas avoir manqué le spectacle qui s’offre à mes yeux. Je mange lentement mon menu et laisse mon regard se fixer là où il le souhaite.
Juste devant nous, une bouche de métro et un SDF qui s’installe au pied du poteau qui porte l’enseigne ‘Métro’. Son petit caddie faisant office de siège, il dispose devant lui une petite coupelle avec quelques pièces de centimes, et ce petit panneau : ‘j’ai faim’. Il ouvre une bière qu’il boit doucement et discrètement. Cette fille ne peut pas ne pas voir ce que je vois. Cet homme m’intrigue, comme s’il avait quelque importance au milieu de toute cette agitation.
Un homme plus âgé, la quarantaine, s’assoit à côté de la jeune fille. Cet homme s’avère être le père de celle-ci. Cheveux rasés, une boucle d’oreille à l’oreille gauche, des vêtements simples et une voix douce, calme et pourtant roque. La fille lui parle de ce SDF.
« J’aimerai bien lui donner mon repas, ou même mon billet de train…. ».
Le père marque une courte pause et lui répond sur un ton neutre : »ce n’est pas de ça dont il a besoin à mon avis. »
« Enfin tout de même, ce ne doit pas être facile tous les jours, dans le froid et la pollution… »
« Non, c’est sûr. »
Quelques personnes passent dans la rue, certains s’arrêtent, passent un coup de téléphone, le va-et-vient dans la bouche de métro est incessant. Parfois une personne s’arrête et donne quelques centimes retrouvés au fond d’une poche du manteau ou du pantalon, elle gagne en retour un franc sourire du SDF.
Le père et sa fille continuent à manger. Je les sens, tout comme moi, absorbés pas la scène de ce SDF qui, d’habitude anonyme, concentre aujourd’hui l’attention de trois personnes.
Le père lâche quelques mots : « pas évident de manger au chaud face à un pauvre qui a une pancarte ‘j’ai faim’… »
Je crois saisir cette relation simple de ce père et de cette fille, elle écoute, ne se sent pas obligée de répondre et n’attend qu’une chose : que son père parle encore. Je m’imagine que les parents doivent être divorcés mais ne se détestent pas, et que leur fille éprouve un grand respect pour son père. Pas de haine, pas d’impatience, pas de signes de cette si souvent décriée crise d’adolescence…
De nouveau ce silence remplit de pensées diverses, ce qui silence qui n’est pas blanc, juste une sorte de pause, d’une suspension de temps.

« Au moins, ça me rappelle d’où je viens de le voir. »
La révélation est lâchée. La fille n’est pas bien sûre d’avoir compris.
« Comment ça ? »
« Avant j’ai été comme lui, là… »

L’étonnement de la fille est palpable, et sa réaction transpire pourtant de douceur.

« Tu veux dire que tu étais un SDF ? »
« Oui, comme lui, dans les rues, comme ça… »
« Maman ne me l’a jamais dit »
« Et pourtant, oui, j’ai été SDF »
« Maman ne m’a rien dit »
Cette distance entre l’ancienne situation du père et la référence ainsi faite de la mère me conforte dans mon hypothèse de couple séparé. Le ton de la fille est songeur.
« Tu as été SDF combien de temps ? »
« 3 ans »
« Et tu as rencontré maman après ? »
« Pas vraiment. C’est elle qui m’a sorti de là. Et c’est pour ça tu vois, que je l’ai épousé »
« Oh… »
La réflexion s’impose, aussi la fille prend un moment avant de continuer à parler. Le père lui, reste serein, et attend les prochaines questions de sa fille.
« Je ne trouve pas ça étonnant, je veux dire de tomber amoureux en quelque sorte de son sauveur. J’imagine que ça arrive souvent. »
« Humm, peut-être. Mais je connaissais ta mère avant, c’est après que j’ai galéré. Mais elle m’a sorti de là… »
Je sens toujours cette distance entre père et mère et pourtant ce profond respect. Je suis complètement absorbé par cette situation qui s’offre à moi. J’observe toujours d’un œil ce SDF. La misère devant moi, la misère derrière ce père, cette fille qui se confronte à toute cette misère à laquelle elle étant sensible avant même de connaître le passé de sont père…Improbable situation…
« Je n’arrive pas à t’imaginer comme ça, quand je te vois maintenant, je n’y arrive pas. »
« Et pourtant, tu vois, n’importe qui peut l’être. N’importe qui… »
« Maman n’en a jamais parlé…Toi aussi tu faisais ça ? Devant un resto ?
« Pas devant un resto, mais oui, je faisais ça. »
Deux garçons de peut-être 9 et 6 ans s’arrêtent juste devant moi et observent le SDF. Ils sont gênés mais excités. Leur mère cachée par une affiche collée sur la vitre, apparait dans mon champ de vision, elle donne une pièce de 1 euro au plus grand pour qu’il aille la donner. Les enfants sont tout contents, Le SDF offre un grand sourire en retour accompagné de plusieurs timides ‘merci’. Les enfants repartent avec leur mère en direction de la gare.
« Tu vois, dit le père, Il va récupérer les grosses pièces pour ne laisser que les petites dans la coupelle. »
« Ah bon ? »
« Oui, normalement, il a un grand sac ailleurs dans lequel il met les plus grosses pièces, c’est un truc connu. »
« C’est marrant…ça me fait penser à cette histoire où une SDF qui avait oublié son sac à un refuge ou un truc du genre, et que quelqu’un avait trouvé 10 000 euros ! Heureusement elle les a récupérés. Mais c’est fou quand même ! 10 000 euros ! »
« Oui, c’est fou ! »
Un homme fume une cigarette avant de s’enfoncer dans la bouche de métro. Il fouille ses poches et donne un petit quelque chose et retourne finir sa clope. Un autre avec son sac ‘Virgin Mégastore’ fait de même. De grosses pièces sont tombées en peu de temps. Le SDF d’un geste rapide et discret prend les pièces de 50cents, 1 euro et 2 euros et les glisse dans sa poche de droite.
« Tu as vu ? lance le père ? »
« Oui ! Excellent, t’avais raison ! »
Le père semble avoir pris beaucoup de distance, pourtant revoir ce SDF et avouer son passé à sa fille a du lui demander beaucoup de courage. J’imagine que le froid des longues journées d’hiver l’a saisi de nouveau, j’imagine que ses muscles se sont crispés un instant, j’imagine que le quotidien de ce temps révolu l’a serré encore. Mais la réaction de sa fille l’a certainement réchauffé détendu et apaisé.
« En sortant, on lui donnera une pièce, d’accord ? »
« D’accord, dit la fille, d’accord »
Ils s’en vont, je reste. Je reste sans savoir quoi penser, je suis frappé par l’atmosphère paisible de cette discussion qui a eu lieu à une place de moi. Maintenant je dois prendre mon train. Je n’ai pas de monnaie, je ne donne rien au SDF. Tant pis, je marche, mais j’écrirai.

2 commentaires:

DoZeR a dit…

ah, et c'est une histoire vraie.

Anonyme a dit…

J´aime beaucoup! Deuxieme histoire autour du thème du SDF!