Quelle est votre histoire préférée du Concours

mardi 18 mars 2008

Première Nouvelle pour le concours !

Lundi 5 novembre 2007 :

Je suis la lie de ce monde, le dernier des rebus de cette société. Je suis ce que les passants nomment – quand ils me croisent et n’osent me regarder en face – un clochard, car pour eux je suis leur pire cauchemar, la dernière des récessions sociales, la seule chose que tout homme tient absolument à ne pas devenir dans sa vie. Certain disent aussi un sans abri, peut être parce que cela est « politiquement correct » ou peut être simplement parce qu’ils ont pitié de moi, mais ma condition n’en change pas pour autant.
Je commence ce journal car écrire m’apporte du réconfort mais aussi avec l’espoir secret que dans dix, vingt, cent ans quelqu’un le lira et comprendra l’horreur de la société d’aujourd’hui.
Je vis dans la rue depuis deux mois maintenant, je commence à m’adapter à peu près au monde hostile que représente la ville de Nantes (ou toute autre ville de France ou d’Europe d’ailleurs). J’ai tout perdu quelques semaines d’intervalles : cela a commencé lorsque je n’ai pas obtenu la garde de mon fils lors de mon divorce, puis, de fil en aiguille, j’ai perdu mon travail, mon logement, ma vie... Au début on se dit que en touchant le fond on va pouvoir prendre une impulsion puis remonter. En réalité cette vision des choses est totalement erronée car il s’agit en fait d’un cercle vicieux. La misère appelle la misère : lorsque l’on commence à ne plus être propre sur soi, à être mal rasé, les gens se mettent à vous lancer des regards méprisants, et ces regards reflètent parfaitement le fait que la société n’a pas besoin de vous, qu’elle ne vous désire pas et que si vous ne lui êtes plus utile un autre prendra votre place…
Je ne pense pas écrire très régulièrement dans ce journal dans la mesure où j’y écris seulement pour m’apaiser, à partir du moment où j’en ressens le besoin.

Jeudi 29 novembre 2007 :

Aujourd’hui j’ai passé la journée sur la place du commerce à essayer de mendier de quoi pouvoir manger ce soir : je n’ai rien avalé depuis ce matin.
Seulement, alors que j’étais assis sur les marches qui bordent cette place, un jeune homme m’a abordé, un adolescent même. Il était plutôt grand mais maigre avait une touffe de cheveux bruns en bataille et était affublé d’un sweat et d’un de ces pantalons très moulant que les jeunes adorent (pantalons tout à fait ridicules par ailleurs). Le fait est que cet adolescent de dix-sept, peut être dix- huit ans s’est approché nonchalamment de moi, d’une de ces démarches qui se veut sure d’elle mais qui ne fait que refléter le doute du jeune qui cherche à s’affirmer mais non encore certains de sa capacité à le faire, tout en me lançant un regard chargé de mépris. Puis il a commencé à m’injurier et à me cracher au visage que c’était la faute de gens comme moi si la société était dans cet état, il m’a accusé de profiter du système, d’être un SDF par choix… et il a fini son discours en projetant un crachat juste devant moi, enfin il a tourné les talons et s’en est allé. Je n’ai pas bougé.
Malgré le fait qu’il m’ait injurié je ne peux me résoudre à lui en vouloir car, après tout, lui et moi sommes la même : un pur produit de cette société. Et puis il n’y a pas si longtemps je n’étais pas si différent de lui dans ma façon de regarder le monde. Il comprendra un jour s’il a ma malchance, sinon, je me résigne à croire qu’il restera le même tout en gardant l’espoir qu’il change de lui-même et se mette à voir les choses comme moi.
Ce qui me révolte et me désespère c’est plutôt que la société actuelle monte ses membres les uns contre les autres au lieu de les unir dans un même optique. Cette société est individualiste. Et dans l’état actuel des choses je n’ai aucune envie de travailler pour moi seul, mais plutôt pour une communauté où le travail de chacun profiterait à tous et où les déchets tel que moi n’aurait plus lieu d’être du fait de la structure même du système.
Ce soir je dors derrière le stade Gaston Turpin, c’est à peu près abrité du vent et je pourrai me mettre sous les arbres s’il pleut.

Lundi 17 décembre 2007 :

Bonne journée ! Enfin une bonne journée dans ma vie de S.D.F : j’ai trouvé un petit local désaffecté où je vais pouvoir m’installer et dormir. Les jours froids approchent, ça va donc m’être réellement salvateur.
Ce petit cagibi fait à peu près trois mètres de long sur deux mètres de large. Il n’est donc pas très grand mais je peux m’y étendre et ainsi me protéger des courants d’air et même dans une certaine mesure, du froid. Il est situé derrière la gare à, à peu près cinquante mètres de la ligne de chemin de fer, mais le bruit n’est qu’un désagrément mineur en comparaison du confort apporté. Il n’y a ni eau ni électricité mais le toit est étanche bien que l’humidité s’infiltre par les murs. La porte ferma assez mal, il s’agit, pour la fermer, de l’assujettir d’un bon coup d’épaule. J’ai tout de même réussi à me faire un bon petit nid douillet puisque j’ai trouvé un vieux duvet qui fait encore parfaitement l’affaire et pour éloigner les rats j’ai récupéré des tapettes.
Ainsi le problème du logement et du froid est résolu.

Mercredi 26 décembre 2007 :

Nous sommes à présent le lendemain de Noël. Je l’ai passé seul dans mon « logis » car la mère de mes enfants n’a pas voulu que je les voie. Ils ont à présent quatre et six ans mais j’ai bien peur de ne pas les revoir avant très longtemps : leur mère leur a raconté que leur père était mort, plutôt que de leur infliger la honte d’avoir un père clochard.
Hier soir je me suis donc soûlé en solitaire pour tenter d’oublier ne serait-ce que pour quelques heures ma condition minable. Mais cela n’a fait que me renvoyer à ma propre misère et me plonger encore plus profondément dans ce désespoir que je ne connais que trop bien et que je cherchais à fuir. La seule chose que j’ai trouvé pour me réconforter c’est de me dire que mes enfants sont à l’abri de cette misère pendant au moins quelques années : leur beau père a un travail qui suffit aux besoins de la famille. Ils pourront peut-être faire des études et ainsi ne jamais tomber dans la médiocrité dans laquelle je suis.

Vendredi 4 janvier 2008 :

En rentrant de ma journée de « travail » (j’utilise ce terme faute de mieux pour désigner mon activité) qui ne m’a pas rapporté grand-chose j’ai trouvé mon logis condamné. Apparemment la police serait passée dans la journée et aurait barricadé les lieux : elle ne veut pas voir des sans-abris dans les rues de la ville. Mais ce qu’ils n’ont pas compris c’est que ce n’est pas en nous expulsant qu’ils nous font disparaître.
Après un temps de recherche relativement cours j’ai retrouvé mes affaires, ou ce qu’il en reste, dans une benne à ordure des environs. J’ai ainsi sauvé ce qui pouvait encore l’être : une vieille couverture trouée et un sac à dos dont la couleur qui à l’origine était censée évoquer l’herbe dans un pré verdoyant ne m’inspire plus aujourd’hui que le dégoût lié à la crasse qui la recouvre.
J’ai donc à peine de quoi manger, je n’ai plus de toit et n’ai qu’une misérable couverture pour me tenir chaud. De plus il est hors de question que j’aille m’humilier dans un de ces centres sociaux, ces endroits où l’on va mendier un lit pour dormir entassés les uns sur les autres dans une immonde odeur d’urine. J’ai presque tout perdu, la seule chose qu’il me reste est ma fierté et je ne la sacrifierai pas pour mon confort. Je préfère mourir avec ma dignité que de vivre sans. Et pourtant je sens qu’il y a des chances que je cède parce qu’il va faire froid et que par la même ma volonté va être mise à rude épreuve.

Mercredi 8 janvier 2008 :

Aujourd’hui j’écris pour une raison totalement différente des autres jours : j’écris pour me tenir chaud. Le froid est partout, il m’environne de toutes parts. Je le sens dans mes membres, sur mon visage et jusque dans mes poumons. Il me brûle, me dévore, me mord tellement profondément la chair qu’il s’attaque également à mon cerveau.
Il doit être aux alentours de minuit trente, je suis derrière le stade Gaston Turpin, un gymnase aux murs peint en orange et au toit en tôle. Le bâtiment est entouré de pelouse, et le tout est ceint de quelques arbres plus ou moins rachitiques et maladifs. Ces mêmes murs sont tagués, cela a sûrement été fait par des jeunes du lycée voisin. Des jeunes en quête de reconnaissance sociale qu’ils vont, en l’occurrence, chercher dans l’art. Moi je me suis installé dans un buisson, ses branches me rentrent dans le dos et me blessent les côtes, mais je me suis mis là pour deux raisons : la première étant que son branchage atténue quelque peu les courants d’air et la seconde est que la douleur qu’il m’inflige a, jusqu’à maintenant, réussi à me tenir éveillé. Je ne dois pas m’endormir ! Car je sais que si je cède à la tentation de l’oubli que procure le sommeil je ne me réveillerais plus. Malgré toute ma misère et ma détresse je continue à m’accrocher désespérément à la vie. Je ne sais pourquoi car je n’en vois aucune raison consciente. C’est sûrement un genre d’instinct primitif de survie.

Je suis la lie de ce monde, le dernier des rebus de cette société et j’ai froid, tellement froid…

3 commentaires:

Joachim a dit…

C'est très dur, emprunt d'un réalisme cynique et froid, le sentimentalisme tiède des images toutes faites intervient assez peu, j'aime cette façon d'écrire.
En accentuant encore davantage l'horreur tout à fait ordinaire de la situation, et la precision du regard que porte le personnage sur celle-ci, tu obtiendrais un texte douloureusement sincère. Bonne continuation :]

Anonyme a dit…

Tellement réaliste surtout quand on est nantais... ;)

Anonyme a dit…

Hey mais cest moi????!!!!!