Quelle est votre histoire préférée du Concours

vendredi 21 mars 2008

Le Sahara .

Sortant d'une relation importante pour elle, mais insignifiante pour les autres, elle s'enfermait souvent dans sa chambre. Sa chambre ne ressemblait plus à quelque chose de connu sur Terre. Il y faisait chaud, un vrai hammam. Il y faisait noir aussi, elle avait fermé tous les volets. Les murs étaient blancs, mais remplis de souvenirs. Photographies, lettres d'Amour, sa vie était affichée. Des objets hétéroclites jonchaient le sol. Des compas, des stylos noirs, des vêtements, des livres, des CD, des milliers de papiers... Tout ce qu'elle n'avait pas pu entasser sur son bureau. Sur celui-ci, un ordinateur. Vieux de quelques années, où reposait une couche de poussière d'au moins cinq millimètres. Regardant souvent une vieille série qu'elle adorait, elle pleurait. Un paquet de cent cinquante mouchoirs était posé à côté d'elle. La jeune femme ne vivait plus que dans cette salle, elle ne sortait plus. Celle-ci regardait obstinément, en sentant couler ses larmes les nombreuses péripéties de son héroïne préférée. Elle ne mangeait plus le matin, en fait elle ne prenait plus que deux repas. Elle se levait à midi et se couchait à plus de minuit. Sa vie décalée, ne vivant plus que la nuit, sa froide confidente était la Lune.

Un de ces soirs les plus brumeux, par ce cinglant hiver, elle prit une décision. Sortir. Cela faisait huit ans qu'elle n'avait rien vu d'autre que son cocon noir. Devait-elle vraiment sortir ? La question se posait. La jeune femme ne savait pas vraiment. Dehors la fraîcheur gelait les voitures jusqu'à en congeler les oisillons dans leurs nids. Les sans domiciles fixes étaient atteints de gelures et côtoyaient les rats crevés sur les trottoirs. Froid amer. La température extérieure était si basse que l'on pu croire qu'il neigeait sur la mer. Les dames âgées se cloîtraient chez elles et allumaient un feu de bois. Les cheminées dégageaient d’épais nuages feutrés. Le feu crépitait. De petites flammes semblables à des caresses venaient effleurer les joues flétries de la vieillesse.

Enfin, elle finit par sortir. Dehors. Sous la pluie... Seule... Personne dans la rue. Personne aux fenêtres. C'est la nuit... Tant mieux, après son enfermement, elle ne voulait rencontrer personne. Elle se sentirait gênée, devant toutes ces figures nouvelles. La lumière l'éblouirait et la suivrait partout. La lumière ne l'avait pas vue depuis de nombreux couchers de soleil. La jeune femme s'enveloppa délicatement dans son manteau de fourrure et dans ses gants de velours noirs. Le vent l'entourait, il essayait de la blesser par de violentes rafales glacées. Elle s'avança lentement dans la rue des Oubliés en regardant ses chaussures à talon. Elle entendait leur bruit se répercuter contre les parois des immeubles. Soudainement au milieu de cette rue, une petite bulle bleue voletant dans les airs se posa devant elle. Surprise mais confiante, la jeune femme regarda la bulle. La minuscule sphère bleue était scintillante et une eau glaciale était enfermée dedans. Elle était aussi fragile que du cristal, et si bleue ! Pensait la femme. Elle surprit quelques perles salées rouler sur ses joues. Le bleu l'envoûtait. L'eau contenue dans la bulle lui faisait ressentir quelque chose, un sentiment intense qu'elle n'avait jamais connu auparavant. Elle voulut la toucher et la sphère se posa sur sa main. A ce contact, il s'ensuivit une fumée blanche comme la neige et la petite bulle devint rouge sang. Enfin la volute de fumée disparut. La petite bulle s'envola. La jeune femme la suivit. Toutes deux traversèrent de grandes rues noires, dont les réverbères ne fonctionnaient plus. De petits chiens peureux et tout poilus jouaient à cache-cache entre les poubelles remplies d’ordures. Ils ne cherchaient même pas de quoi se nourrir. Ils jouaient. Non loin de là, il y avait une grande terrasse, en hauteur. On pouvait voir un arbre, un olivier précisément, ainsi qu’une serre avec des cactus, des camélias, des orchidées, et des coquelicots aussi. Une arche pleine de lierres était disposée à l’entrée de la serre. Cette terrasse ressemblait à une cachette secrète, la verdure cachait presque toute la serre. Ah ! les secrets, pensait la jeune femme. Ce n’est pas si beau les secrets, c’est fait pour rester gardé. Les secrets c’est fait pour être enfermé dans une tombe ! Mais de toute façon, à qui pourrait-elle révéler quelque chose ? Elle n’avait plus d’amis. Plus personne à qui parler. Avec qui échanger quelques paroles.

Enfin, la bulle s'arrêta devant une petite boutique qui faisait le coin d'une rue trop éclairée pour une nuit d'hiver. On pouvait voir de grandes affiches sur lesquelles se dessinaient différents paysages enchanteurs. Venise, où l'Amour règne, Paris, la ville des amoureux. Mais aussi des plages où le soleil brille et où la mer chaude est transparente. On peut admirer des lagons et des cocotiers. Des montagnes verdoyantes avec des fruits plus étonnants les uns que les autres, roses, jaunes en forme d'étoile, noirs... La bulle survolait l'affiche où l'on pouvait admirer un grand désert. Une lune magnifique qui surplombait une dune de sable ambrée. Ce paysage semblait silencieux. La jeune femme frissonna en voyant l'image. En caractères gras et d'une écriture un peu gothique, légèrement effacée, se dessinait le nom de ce désert. Elle oublia totalement la petite bulle et admira longuement l'affiche et se perdit dans ses pensées. Au bout de longues heures, elle finit par regarder l'écriture au dessus de ce paysage de rêve. Dans sa tête, elle se répéta le mot : "SAHARA".

Une musique calme et douce s'élevait dans les airs, une mélodie mélancolique rappelant sa vie d'autrefois. Une substance transparente, liquide, brillant à la lumière descendit de ses yeux jusque sur le trottoir qui devint une rivière scintillante. Enfin, elle reprit ses esprits et s'aperçut que l'aube approchait à petits pas. Elle frissonnait dans son long manteau. Ses mains étaient meurtries malgré le velours qui les recouvraient. Il était temps de rentrer, mais la feuille de papier où se trouvait l'image radieuse et pleine de promesses, l'attirait. Vint la bulle qui se posa sur son épaule. Ses pieds fins se retournèrent brusquement et marchèrent d'un bon pas remontant la rue des Oubliés. Elle revint donc chez elle. Elle éprouvait un sentiment étrange. Quelque chose l'excitait et l'incitait à partir au delà de ses barrières qu'elle avait elle-même établit dans son coeur dans son esprit, et dans sa vie. Une force indescriptible, peut-être comme une envie, un désir profond...

Plusieurs semaines s'écoulèrent, la petite bulle était toujours aussi glaciale, toujours d'un bleu transparent et toujours près de la jeune femme. Toutes deux ne se séparaient jamais. Un matin, elle avait préparé ses bagages, prête et tenant un billet d’avion à la main, le départ était arrivé. Personne ne la remarquait, comme si elle fût une ombre. Avançant d’un pas rapide, elle courait presque, son envie prenait le dessus. Arrivée à l’aéroport, la jeune femme entra dans le grand tunnel donnant dans l’avion. Passa devant l’hôtesse qui ne semblait pas l’avoir vue. Et se débrouilla tant bien que mal pour trouver sa place. A côté d’elle, personne… C’était mieux ainsi. Elle ne serait donc pas déranger par le mâchouillement incurable d’un morfal, ni gênée par les cris insupportables de bébés criant famine. Et encore moins par les ronflements d’une vieil homme qui part rejoindre sa maîtresse à des kilomètres de là. Ou même par les appels que recevrait un homme d’affaire qui tape sur son clavier et dont le bruit résonnerait dans le silence intérieur de la jeune femme. Elle finit par s’endormir. La petite bulle bleue était devenue transparente, on ne la voyait plus. Elle s’était posée sur l’épaule de la jeune femme. Ses rêves étaient emplis de souvenirs. Elle et lui, s’aimant, heureux… Puis, elle, seule… sur la balançoire, tenant un coquelicot entre ses doigts fins. Encore elle, au bord d’une rivière, jouant avec l’eau. Faisant un gâteau au chocolat. Jouant du piano, de la guitare. Dansant sur le parquet de son salon. Brusquement, ses yeux s’ouvrirent. Le vol était fini. Elle était arrivée.

Au dehors, elle vît deux oiseaux, puis un des deux oiseaux coupa la première aile du deuxième oiseau. Des gouttes de sang tombèrent du ciel. Puis il coupa la deuxième aile. L’oiseau tomba au sol… La jeune femme était terrifiée alors elle continua de regarder l’oiseau resté dans le ciel. L’oiseau, tout en haut, tournait autour d’un autre oiseau. Ensuite, il amena cet oiseau sur une branche d’arbre et lui coupa les ailes aussi. Mais il s’occupa de ce nouvel oiseau. La femme ne comprenait rien à l’attitude de cet oiseau. Elle passa à côté de l’oiseau sans aile et partit avec sa sphère bleue. Elle s’avança dans le désert. Le ciel était d’un bleu intense et si beau qu’elle avançait les yeux rivés sur le ciel. Avançant mais ne sachant pas où elle allait, elle errait en suivant son instinct. Une force étrange la faisait marcher, elle en avait des frissons sous le soleil qui frappait le Sahara. Elle sentit un vent chaud et sec s’enroulant autour d’elle comme un serpent. C’était le sirocco, ce vent l’étouffait presque. A mesure qu’elle avançait, le sable devenait rouge. Rouge sang. Elle s’étonna. Dans aucun livre elle n’avait lu que le sable chaud du Sahara était rouge. C’était impressionnant ! Elle s’attarda sur la bulle bleue. Mais la sphère était devenue rouge elle aussi. Puis, la jeune femme ressentit comme une douleur froide. Comme des aiguilles qui lui transperçaient le cœur. Comme des lames plantées dans son corps. Elle réussissait pourtant à avancer. La bulle rouge devenait plus grosse, elle était prête à éclater. La jeune femme avait froid. La raison pour laquelle elle avait froid était que la nuit était tombée. La lune aussi froide qu’elle, était à côté d’elle pour l’aider.

Soudain, avec le froid, le bulle éclata et du sang tomba sur la dune de sable. A ce moment, la jeune femme n’avait plus aucun sentiment, elle était vide. Dénuée de toute sensation, de tout souvenir, elle ne souffrait plus, elle n’était pas pour autant heureuse, mais la paix l’envahissait.
Elle mourut au bout de quelques minutes.
Elle était morte le cœur gelé.
Tout le monde l’avait oubliée…
La solitude était le froid de sa vie.

Sur la dune de sable rouge sang, plus d’une jeune femme étaient mortes.
Et sous la lune… Une petite bulle bleue jaillit du sol et s’envola dans le ciel étoilé.

2 commentaires:

DoZeR a dit…

alors là ! pfiou... on dirait un texte sous acide ! passionnant !

Anonyme a dit…

Ouais c'est vrai, à bien peser, l'originalité joue beaucoup dans ce texte.